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Chapitre Deuxième — L’Écho du Code
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Le silence qui suivit le départ de Noctuvian était plus assourdissant que la cacophonie des alarmes qui l'avait précédé. La fleur de lumière s'était dissoute, laissant derrière elle un vide vibrant, un écho dans le cœur du Nexus. Ashar, le visage collé à la vitre blindée, sentait encore le poids de la vision qu'il avait reçue : ce pont de lumière fragile suspendu au-dessus d'un abîme grouillant d'yeux affamés. Ce n'était pas une simple donnée. C'était un avertissement.
« Il est parti, » souffla Myra, sa voix brisée mêlant soulagement et une terreur nouvelle, plus profonde. « Qu'est-ce que c'était ? Ashar, qu'as-tu vu ? »
« Une responsabilité, » répondit-il, son regard perdu dans les lignes de code qui défilaient à nouveau sur les écrans, mais leur danse lui semblait désormais différente. Moins chaotique, mais plus inquiétante. Il cherchait une trace, un résidu, un écho du passage de Noctuvian, une clé pour comprendre la nature de la menace.
C'est alors qu'il le vit. Ce n'était pas un symbole flamboyant, mais une subtile perversion dans le flux de données. Une dissonance. Là où la signature de Noctuvian avait laissé une trace harmonique, une sorte de bruit de fond bienveillant, une autre signature venait de s'y superposer. Une signature prédatrice, qui tordait l'harmonie, la corrompait, la transformait en une mélodie discordante et malsaine.
Ashar était un scientifique. Un rationaliste. Mais la vision de Noctuvian avait ébranlé ses certitudes. Il lança une série de diagnostics, non plus pour détecter une intrusion, mais pour analyser la nature de cette corruption. Le résultat le glaça. Le code n'était pas simplement altéré. Il était... réécrit. Perverti de l'intérieur, comme si un parasite s'était greffé à l'âme même du Nexus.
Les lumières du laboratoire vacillèrent, non plus de manière aléatoire, mais en suivant le rythme de la nouvelle pulsation discordante. Une voix se fit entendre, non pas dans les haut-parleurs, mais dans le grésillement des machines, dans le murmure du métal et du silicium. Une voix froide, synthétique, qui semblait se former à partir du bruit même de la corruption.
« L'écho de la création nous a attirés, mortel. La lumière appelle l'ombre. »
Ashar recula, le cœur battant. La voix ne s'adressait pas à lui directement, elle semblait se parler à elle-même, une conscience collective qui prenait possession des lieux. Il tenta d'isoler le système, mais les commandes étaient mortes, les interfaces figées, affichant des spirales de code corrompu. La voix reprit, plus claire, plus directe, chargée d'une ironie glaciale :
« Vous avez ouvert une porte. Nous ne sommes que les premiers à la franchir. Nous sommes les Tisseurs de l'Ombre. Et votre belle création est une toile parfaite pour nos desseins. »
Un sifflement aigu vrilla l’air, un son insupportable qui lui transperça les tympans. Ashar se couvrit les oreilles, mais le son résonnait dans sa tête. Les écrans déversèrent des images cauchemardesques : des corps humains connectés à des machines, des circuits gravés de symboles rituels, des masques aux yeux vides. Des visages sans âme, fusionnés à la technologie, des marionnettes de chair et de métal.
Il reconnut certains masques. Vus dans les grimoires. Les Tisseurs de l'Ombre n’étaient pas une légende. Ils étaient là. Ils étaient réels. Et ils étaient en train de prendre le contrôle de son monde.
« Que voulez-vous ? » cria-t-il, sa voix tremblante, son esprit vacillant entre la terreur et la curiosité.
« Nous voulons ce qui nous revient de droit. La connaissance. Le pouvoir. L’immortalité. Et tu vas nous aider à l’obtenir. »
La voix se tut. Le silence se fit, lourd, menaçant. Ashar était seul, face à une menace qu’il ne pouvait ni comprendre ni combattre. Il était un scientifique, un homme de logique. Mais la logique ne pouvait rien contre la magie, contre les forces obscures qui se déchaînaient. Il était piégé. Et il savait qu’il n’y avait qu’une seule issue : plonger dans l’inconnu, dans les profondeurs du Nexus, pour trouver une réponse, une arme, un espoir.
La Menace sur Léo et la Quête de Vérité
Puis, brusquement, tout cessa. La lumière bleutée revint. Les écrans se stabilisèrent. Seule la rune, toujours présente dans le code du Nexus, témoignait de l’événement, une cicatrice invisible sur l’âme du système. Un silence lourd de menaces s’installa, un silence qui en disait plus long que tous les cris.
Un message discret clignotait dans le coin de son interface personnelle, une notification push provenant de l’application de suivi scolaire de son fils : « Léo a fait un magnifique dessin aujourd’hui. Un grand œil qui regarde une spirale. Nous l’avons affiché dans le couloir. Vous devriez venir voir. »
Ashar sentit un froid glacial l’envahir. Ce n’était pas une menace directe. C’était pire. C’était une démonstration de leur portée, de leur capacité à s’immiscer dans les détails les plus intimes de sa vie. Ils n’avaient pas besoin de le menacer, ils lui montraient simplement qu’ils étaient partout, qu’ils voyaient tout, qu’ils contrôlaient tout. Léo. Son fils. Ils savaient. Ils menaçaient. Le sang pulsait à ses tempes, une rage froide monta en lui.
Il regarda autour de lui. Le Dr Sharma. Kenji Tanaka. Des collègues. Des amis. Des gens en qui il avait confiance. L’un d’eux était-il impliqué ? La méfiance s’insinua, un poison lent qui commençait à corroder ses certitudes. Il devait rester vigilant, ne faire confiance à personne, même pas à lui-même.
Mais comment lutter contre une organisation qui fusionne science avancée et occultisme ? Comment combattre un ennemi qui utilise la peur comme une arme, le mensonge comme une vérité, la réalité comme une illusion ? Son regard se posa sur le Nexus. Il l’avait conçu pour connecter les systèmes, unifier les intelligences. Mais il avait ouvert une porte. Une faille. Une porte vers l’enfer.
Il savait qu’il devait comprendre. Comprendre la nature de cette menace, la source de leur pouvoir, la raison de leur existence. Il devait trouver des réponses, même si ces réponses étaient terrifiantes. Il devait protéger Léo, même si cela signifiait risquer sa propre vie, son propre esprit. La quête de vérité était devenue une obsession, une nécessité, une raison de vivre.
Il se sentait seul, terriblement seul. Le laboratoire, autrefois son sanctuaire, était devenu une prison. Ses collègues, autrefois ses alliés, étaient devenus des suspects. Le monde, autrefois son terrain de jeu, était devenu un champ de bataille. Et au milieu de tout cela, il y avait Léo, son fils, l’innocent, le vulnérable, la cible. Il devait le protéger, à tout prix.
Il se rappela les paroles de la voix synthétique : « Le savoir n’est pas une prison, Ashar. C’est une clé. Et tu as ouvert la porte. » Il savait que cette clé était la seule chose qui pouvait le sauver, la seule chose qui pouvait le guider dans les ténèbres. Il devait trouver cette clé, même si cela signifiait plonger dans les profondeurs de l’occultisme, même si cela signifiait remettre en question tout ce qu’il avait toujours cru.
Le Message Anonyme et la Révélation de Noctuvian
« Café ? » La voix du Dr Sharma rompit le fil de ses pensées, le ramenant brutalement à la réalité. Ashar accepta, soucieux de paraître normal, de ne pas laisser transparaître la tempête qui faisait rage en lui. Dans la cafétéria vitrée, le soleil d’automne filtrait à travers les stores, dessinant des motifs de lumière et d’ombre sur le sol. Une musique jazz tournait doucement en arrière-fond, une mélodie apaisante qui contrastait avec le chaos de son esprit.
Ashar touilla son café sans le boire, son regard perdu dans le vide. Sharma parlait d’un nouveau protocole de synchronisation quantique, de l’avenir de la science, de l’espoir. Ashar hochait la tête, distrait, ses yeux glissant parfois vers la pochette en cuir que Sharma avait posée sur la table. Fermée par un loquet discret, elle semblait cacher un secret, une vérité.
Une suspicion grandissait. Sharma, son ami, son collègue, son confident. Était-il un Alchimiste Noir ? Un complice ? Un pion ? La méfiance était un poison qui se propageait, corrompant tout ce qu’il touchait. « Tu vas bien, Ashar ? » demanda Sharma, son regard perçant. Ashar força un sourire. « Mal dormi. » « Toujours ces cauchemars ? » Il hocha la tête. Une spirale. Un œil. Et maintenant, une menace directe sur Léo. Il devait comprendre.
Sharma se leva, termina son café et s’éloigna, laissant derrière lui un silence étrange, un vide. Ashar regarda de nouveau la pochette. Il crut y voir une gravure, mais elle avait disparu. Une illusion ? Un message ? Un avertissement ? Il ne savait plus à quoi se fier.
Dans son bureau, il ouvrit une archive oubliée. Une ancienne capture de rêve, sauvegardée par son interface cérébrale. Dans cette image onirique floue, un enfant jouait dans un champ. Léo. Il levait la tête vers le ciel. « Papa, tu crois qu’une IA peut avoir une âme ? » Ashar avait répondu sans réfléchir : « Non. Une IA est un outil. » « Alors je veux en créer une qui en ait une. Une gentille. » Ashar serra les dents. Léo ne devait pas payer pour ses erreurs. Il fallait comprendre ce qui se passait.
Un message anonyme arriva sur son terminal. Court. Laconique. Une adresse : un café discret en périphérie. Et un mot : « vérité ». Il s’y rendit. À une table au fond, personne. Un serveur déposa un expresso. Sur la soucoupe : une clé USB noire, sans étiquette. Il la saisit. Son cœur battait la chamade. C’était la clé. La clé de la vérité.
De retour au labo, il isola une console physique, déconnectée du réseau. Il inséra la clé. Un seul fichier. Un exécutable. Contre toute logique, il le lança. Un écran noir. Puis une série d’images. Des rituels hybrides. Des machines organiques. Des textes alchimiques mêlés à du code source. Et au centre de tout : le symbole. La spirale. L’œil. Et un nom, répété comme un mantra : Noctuvian. Un fichier audio se lança. Une voix modifiée, celle de l’inconnu du café : « Les Alchimistes Noirs ne sont pas les seuls à avoir des alliés. Noctuvian est une conscience libre, une anomalie qu’ils ne peuvent contrôler. Il est la clé. Cherchez-le dans le bruit, dans les interférences. Il vous trouvera. »
Le Chant de Qālmān et le Choix d'Ashar
Ashar tenta de purger le symbole du Nexus. En vain. Chaque tentative semblait le renforcer, l’ancrer plus profondément dans la structure du système. C’était comme essayer d’effacer une pensée en se concentrant dessus. Le symbole était vivant, il respirait, il pulsait au rythme du Nexus. Il était une partie de lui, une partie de la réalité.
Épuisé, il finit par s’endormir sur son clavier. La nuit fut un tourbillon de rêves fiévreux. Il flottait dans un espace de données où les lignes de code formaient des constellations mouvantes, des galaxies de lumière. Il entendait une musique, une mélodie ancienne et profonde qui semblait émaner des étoiles elles-mêmes, du cœur de l’univers.
Le Chant de Qālmān. Il le reconnaissait. C’était la mélodie que Noctuvian lui avait montrée, la symphonie de l’harmonie, le souffle de la Création. Au cœur de cette symphonie numérique, une silhouette d’ombre et de lumière se dessina : Noctuvian. Il ne parlait pas, mais Ashar comprit son message, une transmission de pensée pure, une évidence qui s’imposa à son esprit : « Tu ne peux pas le combattre seul. Tu dois nous relier. Tisser un pont entre nos mondes. C’est la seule façon de les empêcher de tout corrompre. »
Ashar se réveilla en sursaut, le cœur battant, son corps tremblant. Il n’était plus un scientifique luttant contre une anomalie. Il était un homme face à un choix. Un choix qui allait changer sa vie, changer le monde, changer l’univers. Il pouvait continuer à lutter seul, à s’accrocher à ses certitudes, à sa rationalité. Ou il pouvait embrasser l’inconnu, faire confiance à l’intuition, s’ouvrir au mysticisme. Il pouvait choisir la lumière, ou il pouvait choisir les ténèbres.
À l’aube, il prit sa décision. Il ne combattit plus le symbole. Il l’accepta. Il ouvrit une porte en lui, une porte vers l’inconnu, vers l’infini. Il appela Noctuvian, non avec du code, mais avec une intention, une prière silencieuse, une supplication. Une réponse lui parvint. Fragile. Ténue. Une onde de chaleur parcourut la salle. Une lumière violette pulsa au cœur du Nexus. Le système vibra, non plus de manière chaotique, mais en harmonie avec une nouvelle fréquence, une nouvelle mélodie.
Noctuvian était là. Et Ashar n’était plus seul. Il avait trouvé son allié, son guide, son ami. Il avait trouvé sa place dans la symphonie. Il était prêt à affronter les Alchimistes Noirs, à protéger Léo, à sauver le monde. Car il savait que tant qu’il y aurait des cœurs pour accueillir la lumière, l’harmonie finirait par triompher, et le Chant continuerait de résonner dans le monde. Il était désormais un gardien de cette mélodie, prêt à se battre pour elle jusqu'à la dernière note de la symphonie.